Ce que les Congolais pensent de la corruption!

Imaginez un bateau en train de couler dans lequel un grand nombre de personnes se battent pour quelques gilets de sauvetage de plus en plus déchirés. C’est ce qui se passe en République démocratique du Congo (RDC), à chaque maillon d’une chaîne de pots-de-vin qui s’étend des fonctionnaires les plus modestes jusqu’au sommet du gouvernement. Les congolais sont victimes d’une culture semi-officielle, connue sous le nom de “débrouillez-vous”.

Ce que les Congolais pensent de la corruption et des pots-de-vin

Dans l’enquête “le Baromètre mondial de la corruption” effectuée auprès de 47 000 citoyens de 35 pays africains, Transparency International a interrogé les citoyens Congolais sur leur point de vue et leur expérience de la corruption. Quatre-vingt-cinq pour cent d’entre eux ont déclaré que la corruption augmentait, 80 % ont déclaré que le gouvernement ne parvenait pas à la combattre et 80 % ont affirmé qu’ils devaient payer des pots-de-vin pour obtenir des services publics, comme la police, l’approvisionnement en eau et les documents d’identité.

Il n’est guère surprenant que les Congolais considèrent que les institutions telles que la police, le système judiciaire et le gouvernement sont gangrenées par la corruption, ni, malheureusement, que moins d’un tiers d’entre eux pensent que les citoyens ordinaires peuvent faire la différence dans la lutte contre la corruption.

Ces résultats sont bien pires que dans la plupart des autres pays africains : un peu plus de la moitié des Africains pensent que la corruption s’aggrave, tandis que 28 % des Africains doivent verser des pots-de-vin pour obtenir des services publics.

Pourquoi la corruption est-elle si répandue en RDC, pourquoi les pots-de-vin sont-ils si banals et pourquoi deux tiers des citoyens se sentent-ils impuissants ?

L’état de la corruption en RDC

Une série de facteurs contribuent aux niveaux élevés de corruption en RDC. La faiblesse de la démocratie permet aux politiciens corrompus de conserver le pouvoir, tandis que l’inefficacité des institutions favorise la corruption au lieu de la prévenir. Les personnes qui exposent ou s’opposent aux systèmes corrompus sont réprimées. Le pays a également un faible niveau d’administration de l’Etat, un outil clé que les régimes non démocratiques peuvent utiliser contre la corruption : le gouvernement ne contrôle pas sa propre armée, se dispute le pouvoir local avec de nombreuses milices et contrôle peu les mouvements à travers ses frontières de l’Est du pays.

Les dirigeants Congolais ont tendance à encourager la corruption plutôt que d’essayer de l’éliminer. Cela se fait par le biais de réseaux de patronage où ceux qui ont du pouvoir donnent à d’autres des emplois et des contrats en échange de pots-de-vin. Les puissants deviennent ainsi très riches — l’ancien président Joseph Kabila possède plus de 80 entreprises et 71 000 hectares de terres agricoles — et les fonctionnaires de bas niveau mal payés doivent exiger des pots-de-vin pour survivre.

Cet acte de prédation sur les personnes ayant moins de pouvoir est rendu plus agressif par l’insécurité de l’emploi ; les dirigeants ont tendance à licencier stratégiquement et régulièrement les fonctionnaires pour les empêcher d’obtenir trop de pouvoir. Cela encourage de nombreux fonctionnaires à s’emparer du plus d’argent possible — par le biais de pots-de-vin mais aussi de détournements de fonds — le plus rapidement possible.

Ils peuvent le faire sans être détectés et en toute impunité car les institutions de la RDC manquent souvent de transparence — la compagnie pétrolière d’État Cohyrdo est l’une des entreprises publiques les moins transparentes au monde — et n’ont que peu de moyens pour contrôler et gérer efficacement leurs activités. C’est ainsi que des centaines de millions de dollars de prêts d’infrastructure accordés par le gouvernement chinois ont disparu, par exemple.

Les chances que les fonctionnaires soient sanctionnés pour corruption sont d’autant plus réduites que le cadre anticorruption de la RDC est très mal appliqué. Les lois criminalisant la corruption dans le secteur public et exigeant des fonctionnaires qu’ils signalent tout pot-de-vin sont rarement appliquées, et tout fonctionnaire ayant de bonnes relations qui est poursuivi pour corruption peut s’attendre à un acquittement, car le système judiciaire est contrôlé par les politiciens et les pots-de-vin.

Les citoyens paient la facture

Que ce soit à cause du ralentissement du développement ou des pots-de-vin, ce sont les citoyens ordinaires qui en pâtissent.

Les 10 millions de petits commerçant dans les marchés sont l’un des nombreux groupes démographiques à qui l’on demande régulièrement des pots-de-vin. En allant chercher des marchandises, un vendeur de marché peut être confronté à un agent de la police routière qui lui demande un pot-de-vin, à un barrage de l’armée qui lui prend une partie de ces marchandises, puis à un fonctionnaire du gouvernement local qui lui demande une taxe officieuse pour le laisser faire.

Les gouvernements locaux et provinciaux sont connus pour exiger des centaines de types de taxes, souvent pour des services qui ne sont pas fournis. De nombreux fonctionnaires empochent également une grande partie des taxes qu’ils perçoivent, avant de soudoyer leurs supérieurs. En outre, la nécessité de verser des recettes fiscales suffisantes sur les comptes de l’État, tout en s’appropriant l’argent des impôts, signifie que les fonctionnaires imposent les citoyens congolais pauvres à des taux très élevés, prélevant 40 à 50 % de leurs revenus.

Il y a malheureusement plusieurs raisons pour lesquelles deux tiers des citoyens n’ont pas l’impression de pouvoir faire la différence contre la corruption : leurs votes ne sont apparemment pas comptabilisés lors des élections ; le vainqueur annoncé des élections générales de 2018, Martin Fayulu, n’est pas devenu président. Au lieu de cela, Felix Tshisekedi est devenu président après une élection comportant de nombreuses irrégularités. Les citoyens sont découragés par la répression violente des manifestants et des politiciens de l’opposition, et s’inquiètent du fait que la culture de la débrouille est trop profondément ancrée dans leur société.

Quelle est l’avenir de la RDC ?

L‘avenir de la RDC depends des Congolais eux-mêmes et le regime de Felix Tshisekedi a une chance de renforcer l’intégrité de la RDC. Il devrait commencer par renforcer la démocratie avec une presse et un système judiciaire libres, et des droits politiques complets. Tshisekedi doit également financer de manière adéquate les agences indépendantes de lutte contre la corruption, et mettre pleinement en œuvre le cadre anticorruption de la RDC. Cela contribuera à renforcer ses institutions tout en garantissant que les fonds publics ne sont pas détournés, que les marchés publics sont éthiques et que les actes de corruption sont punis.


Traduit de l’article original : Why do DRC citizens report such high levels of corruption?