Nouveau rapport de CERC sur la mise en oeuvre de la CNUCC en République démocratique du Congo 

La République démocratique du Congo travaille dur pour faire avancer la mise en œuvre et l’application des dispositions du chapitre II (Mesures préventives) et du chapitre V (Recouvrement des avoirs) de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC). Un récent rapport rédigé par le Centre de Recherche sur l’Anti-Corruption (CERC) dresse un tableau des principaux points forts et des obstacles à la mise en œuvre de la CNUCC en RDC. Le rapport se termine par des recommandations clés à l’intention des différents secteurs de l’État pour lutter plus efficacement contre la corruption dans le pays. Le rapport est conçu comme une contribution au processus d’examen de la mise en œuvre de la CNUCC dans son deuxième cycle, avec le soutien technique et financier de UNCAC Coalition.

Les principales difficultés rencontrées par la RDC dans la mise en œuvre du chapitre II de la CNUCC sont entre autres le manque de volonté politique, l’ingérence politique et la politisation du système judiciaire, qui empêche la poursuite des auteurs présumés. A cela s’ajoute l’inefficacité des institutions et organes de lutte contre la corruption, caractérisée par une indépendance et des ressources insuffisantes, des privilèges et immunités diplomatiques ou parlementaires, et un manque général d’action efficace et coordonnée contre la corruption. En ce qui concerne le chapitre V, la faible coopération judiciaire avec d’autres pays rend difficile le recouvrement des avoirs. Malgré les instruments juridiques internationaux et régionaux contre la corruption auxquels la RDC est devenue partie, peu de résultats ont été obtenus à ce jour.

Néanmoins, les développements récents dans le pays sont de bon augure pour le progrès. Avec l’avènement de l’administration Tshisekedi, il y a eu une volonté politique d’assurer une meilleure prévention de la corruption et d’atteindre des niveaux plus élevés d’intégrité, de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques. Pour la première fois dans l’histoire de la RDC, des ministres en exercice, le directeur du cabinet du chef de l’Etat, des gouverneurs de province et plusieurs hauts dignitaires ont été appelés à répondre devant la justice sur des graves soupçons de détournement de fonds.

Le processus officiel d’examen de la CNUCC en RDC est en cours. Ce rapport a été rédigé en même temps que l’examen officiel du pays, qui a été retardé pour diverses raisons, notamment un manque de volonté politique pour soutenir le processus d’examen. Peu d’informations publiées sur le processus d’examen sont disponibles, et les informations sur la visite du pays ne sont pas connues. La liste des experts gouvernementaux est le seul document officiel actuellement disponible sur la page du profil pays de l’UNODC en RDC, et la liste de contrôle de l’auto-évaluation est en cours de compilation avec une participation limitée de diverses organisations de la société civile (OSC). Par exemple, le CERC n’a pas été informé du processus d’examen avant juin 2021. La publication d’autres documents officiels, tels que le rapport complet sur le pays, a été accueillie avec beaucoup de réticence par les autorités gouvernementales. Dans l’intervalle, le CERC a plaidé à plusieurs reprises auprès de la Présidence de la République, par l’intermédiaire du ministère de la Justice qui coordonne l’examen de la CNUCC en RDC, pour qu’elle signe l’engagement de transparence de la Coalition de la CNUCC, sans succès jusqu’à présent.

Le rapport parallèle complet de la société civile peut être consulté ici, ou au bas de cette page. La version traduite du rapport en anglais est à venir.

Principales conclusions

Vous trouverez ci-dessous plusieurs des principales conclusions du rapport, regroupées par thème :

Politiques et pratiques préventives de lutte contre la corruption

En 2009, un Forum national sur la lutte contre la corruption (FONALC) a été organisé. Rassemblant plus de 450 délégués des institutions publiques, de la société civile, du monde des affaires, ainsi que des experts nationaux et internationaux, il avait notamment pour objectif de formuler les principaux piliers de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption en RDC. 104 résolutions ont émergé de ce Forum, et trois lois en particulier ont été rédigées : sur la prévention et la lutte contre la corruption, sur la déclaration des biens et sur la protection des témoins, des dénonciateurs et des victimes de la corruption. Plus récemment, fin 2021, un atelier d’approbation de la nouvelle stratégie de lutte contre la corruption en RDC a été organisé à Kinshasa.

En 2010, le Document de Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption et les projets de lois anti-corruption ont été soumis au gouvernement pour approbation, mais ont rencontré une résistance politique. D’une manière générale, l’absence de lois anti-corruption spécialisées signifie que la lutte contre la corruption en RDC continue d’être entravée par un cadre juridique obsolète qui manque de l’ancrage politique indispensable à toute lutte contre la corruption.

Organes préventifs de lutte contre la corruption

Depuis 2019, plusieurs organes participent activement à la prévention et à la lutte contre la corruption en RDC, notamment l’Inspection générale des finances (IGF), la Cour des comptes (CC), la Cellule nationale de renseignement financier (CENAREF) et l’Observatoire de veille sur la corruption et l’éthique professionnelle (OSCEP). Bien que l’adoption par le Parlement d’une loi sur l’organisation et le fonctionnement d’une agence nationale de lutte contre la corruption soit au point mort, la présidence de la République démocratique du Congo a créé une agence spécialisée dans la lutte contre la corruption en 2020 : l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC). Sa mission est de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre effective de stratégies de lutte contre la corruption à différents niveaux afin de déterminer quels mécanismes peuvent être appliqués au mieux à la RDC.

Malgré la présence de toutes ces institutions, la RDC perd encore en moyenne 15 milliards de dollars par an à cause de la fraude, de la corruption et de la mauvaise gestion des fonds publics. Les organes de lutte contre la corruption manquent de garanties juridiques qui leur permettent d’exercer leur mandat de manière efficace et indépendante, en les protégeant de toute influence politique indue. À cela s’ajoute la faiblesse des garanties d’allocation du matériel nécessaire au fonctionnement et au développement opérationnel de ces organes. En outre, l’arrestation du coordinateur de l’APLC, M. Kikangala, et la suspension de deux directeurs de la même agence pour « extorsion de fonds et abus de pouvoir » témoignent d’un manque d’intégrité au sein de certaines agences de lutte contre la corruption.

Finances publiques

Ces dernières années, la RDC a entrepris des réformes dans le domaine de la gestion des finances publiques. Dans le cadre de la modernisation du cadre législatif de la vie économique et sociale, d’importantes lois relatives aux finances publiques ont été révisées, notamment : la législation fiscale applicable aux petites et moyennes entreprises (PME), la loi sur les marchés publics, le projet de code des douanes et la loi portant introduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Les états de suivi budgétaire sont publiés en ligne à la fin du mois et communiqués aux ministères et organismes bénéficiaires.

Néanmoins, le non-respect des lois budgétaires a entraîné un dépassement des allocations budgétaires par les institutions et les ministères, au détriment des dépenses en faveur des pauvres et conduisant à des écarts importants entre les crédits votés et le budget exécuté par le gouvernement. L’absence d’un système de comptabilité générale de l’État et le recours excessif à des procédures exceptionnelles dans la chaîne des dépenses, causé en partie par le manque de fluidité des procédures, constituent des obstacles supplémentaires.

Accès à l’information

L’inexistence de la loi sur l’accès à l’information empêche la société civile, les médias congolais et tous les citoyens du pays d’obtenir facilement les bonnes informations auprès des sources nécessaires. Un numéro vert pour signaler les cas de corruption existe via l’OSCEP, mais il n’est pas très connu du grand public en raison d’un manque de sensibilisation à son existence par les différents canaux médiatiques.

Services judiciaires et de poursuites

La Constitution de 2006 a prévu de restructurer l’ensemble du système judiciaire en créant deux ordres juridictionnels, une Cour constitutionnelle et en plaçant les tribunaux militaires sous la tutelle de la Cour de cassation. Au printemps 2015, le ministère de la Justice et des droits de l’homme aux côtés du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a organisé des États généraux de la justice, au cours desquels des actions prioritaires pour la réforme générale du système judiciaire ont été décidées. En 2017, le ministère de la Justice a adopté un plan d’action pour la réforme de la justice, en vigueur jusqu’en 2026. Alors que plus de 200 magistrats ont été révoqués pour cause de corruption ou d’incompétence en 2018, le système judiciaire continue de souffrir d’un manque de contrôle de routine pour évaluer le respect des règles. Il est mal équipé et sous-financé, et les interférences politiques agissent comme une contrainte sur son indépendance.

Participation de la société civile

La liberté d’expression et de réunion est inscrite dans les articles 23 et 26 de la Constitution congolaise. Les organisations de la société civile existent dans le pays en tant qu’associations légalement enregistrées. Le paysage de la lutte contre la corruption en RDC est caractérisé par plusieurs organisations de la société civile, dont le Centre de Recherche Anti-Corruption (CERC). La participation des acteurs de la société civile aux  » États généraux de la lutte contre la corruption en République démocratique du Congo  » en octobre 2021 a démontré une avancée, les OSC contribuant à l’élaboration de politiques et de stratégies de lutte contre la corruption.

Malgré cela, les OSC sont souvent diabolisées et considérées comme des adversaires plutôt que des partenaires. C’est le cas d’Albert Yuma, directeur de la Gécamines (Générale des Carrières et des Mines), qui a menacé de poursuivre les OSC anti-corruption pour avoir dénoncé des détournements de fonds d’un montant de 750 millions de dollars en RDC. En outre, la RDC n’a entrepris aucune campagne nationale de sensibilisation ou d’éducation pour encourager et approfondir les connaissances du grand public sur les risques de corruption.

Blanchiment d’argent

La RDC est confrontée à une série de facteurs qui l’exposent aux activités de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. La structure de son économie avec une prépondérance du secteur informel, l’utilisation élevée de l’argent liquide en raison des faibles niveaux de couverture financière, la forte dollarisation de l’économie due à un faible contrôle des changes, l’absence d’un système d’identification fiable et la corruption généralisée créent un environnement criminogène propice aux activités financières criminelles.

Bien que la RDC dispose d’une cellule de renseignement financier (CENAREF) qui traite, analyse et diffuse les rapports qu’elle reçoit des entités déclarantes sur les soupçons de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, le nombre limité d’employés de la cellule et la quantité de déclarations de transactions suspectes (DTS) reçues et traitées par la cellule démontrent que les autorités congolaises ont une mauvaise compréhension globale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels le pays est si exposé. En ce qui concerne la conformité technique, le cadre juridique élaboré en 2004 n’a pas été mis à jour pour suivre l’évolution des normes internationales, notamment les recommandations du GAFI de 2012.

Coopération internationale

La RDC a signé des accords bilatéraux avec plusieurs pays, ainsi que l’accord de coopération et d’entraide judiciaire de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC). Le pays est un membre actif du Système de certification du Processus de Kimberley (SCPK), qui promeut la coopération internationale dans la lutte contre les diamants de sang. La RDC a également été le premier État à mettre en œuvre, au niveau national, le mécanisme de certification des minéraux pour les matériaux de conflit « 3TG » (étain, tantale, tungstène, or), développé en 2010 par la Conférence internationale des régions des Grands Lacs (CIRGL). En outre, la CENAREF, la cellule de renseignement financier, a signé des accords internationaux avec trois CRF au Congo, en Belgique et au Maroc.

Cependant, malgré la nature transnationale des crimes en RDC, la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est limitée. Le pays ne dispose pas d’un service central dédié à la coopération judiciaire internationale en matière de LBC/FT au sein du Ministère de la Justice. En fait, les demandes arrivent au bureau du Ministre, et sont ensuite transmises aux tribunaux pour compétence.

Principales recommandations

Dans son rapport, le Centre de recherche anti-corruption (CERC) fait plusieurs recommandations clés aux autorités pour assurer la pleine mise en œuvre de la CNUCC en RDC, par exemple :

  1. Renforcer les capacités des organes d’enquête sur la corruption et le blanchiment d’argent, en garantissant leur pleine indépendance ;
  2. Mise en place d’une structure chargée de contrôler les déclarations de patrimoine des agents publics, de numériser les processus de déclaration et de renforcer les sanctions en cas de non-déclaration de patrimoine ;
  3. Adoption de la loi sur l’accès à l’information, de la loi sur la protection des lanceurs d’alerte et de la loi sur la lutte contre la corruption ;
  4. Améliorer et harmoniser la collecte et le traitement des réclamations et des plaintes contre les dénonciateurs ;
  5. Mise en œuvre des recommandations de la Cour des comptes en matière d’audit public.

Des recommandations plus spécifiques à l’intention des différentes personnalités et autorités gouvernementales figurent au chapitre VI du rapport.